Nous avons rencontré, dans le conte mythologique sur la naissance du taiko, la déesse du Soleil Amaterasu et son frère Susanoo. Cas unique au monde, le Japon n’a jamais vécu de changements de dynastie régnante : tous les empereurs descendent d’Amaterasu. Elle est donc la toute première ancêtre de la dynastie impériale. Dans toutes les mythologies il y a une dieu destructeur, comme par exemple Tyr dans la tradition nordique,
Seth en Egypte,
Shiva-Rudra en Inde,
Ares en Grèce.
Au Japon, le côté destructeur du monde est représenté par Susanoo, qui est rien de moins que le frère d'Amaterasu !
Le qualificatif de "destructeur" ne doit pas être compris dans un sens négatif, car cette action s'exerce en réalité contre ce qui fait obstacle, ou bien c'est un aspect de la nécessité même des événements : il n'est pas possible de créer sans une destruction préalable... Cela n'empêche que Susanoo fera des dégâts immenses, et qu'Amaterasu plongera dans la colère d'abord et dans l'amertume ensuite. En réalité, au tout début frère et soeur s'aimaient bien et passaient du temps ensemble. Leurs parents les avaient créés sans l'étiquette d'ennemis.
Et c'est de leurs parents que je vous parle aujourd'hui.
Pour les connaître, nous allons ouvrir les pages de deux livres fondamentaux : le Kojiki et le Nihon-Shoki. Dans la culture japonaise, tout comme nous avons des grands récits célèbres comme l'Iliade et l'Odyssée, il existe des textes fondateurs comme le Nihon shoki et le Kojiki, qui mêlent légendes et réalité historique. Ces deux ouvrages sont attribués principalement à Ō no Yasumaro, un bureaucrate et chroniqueur de la cour de Nara, connu pour avoir rassemblé des récits transmis oralement.
Le Kojiki, ou "Chronique des faits anciens", a été officiellement publié en 712, au début de la période de Nara. Comme nous l'avons vu ici, les japonais n'ont pas devéloppé un système d'écriture, ils n'en ont pas eu le temps. Les chinois sont arrivés, et avec eux l'écriture. Pendant ces premiers siècles, donc, les documents officiels sont rédigés en langue chinoise, qui est à tous les effets la langue administrative, comme le latin l'était en France avant les Serments de Strasbourg, premier document administratif non écrit en latin. Ō no Yasumaro collecte des chants, des poèmes et des récits transmis oralement et les écrit avec l'écriture chinoise MAIS en langue japonaise. Ainsi, le Kojiki est le premier livre écrit en japonais. Qu'est-ce il raconte ce livre ? Il raconte l'origine divine du Japon, présentant l'histoire des divinités shinto, appelées kami, depuis la création du monde, et lie les dieux aux humains en racontant la dinastie impériale jusqu'au 33ème empereur, descendant direct de la déesse du Soleil. Voulant compléter sa tâche d'historien, l'auteur achève en 720 un autre livre, le Nihon shoki, ou "Chroniques du Japon". Bien qu'il commence également par des récits mythologiques sur les origines du Japon et l'ascendance divine de l'empereur, le Nihon shoki se concentre davantage sur les événements historiques. Cette fois l'auteur veut souligner le côté historique au détriment de l'aspect littéraire et présente son oeuvre en tant que document officiel, le rédigeant en chinois. Dans le premier comme dans le deuxième texte, nous trouvons de nombreuses histoires sur l'origine du monde. Je vais vous raconter celle qui concerne les parents d'Amaterasu, car c'est ce couple divin qui a fait surgir notre archipel aimé.
Le Kojiki nous notifie que la terre, au commencement, était vide et comme une méduse dans la mer. Les puissances divines de l'univers, après avoir donné naissance au soleil, au ciel et à d'autres élements, créerent une divinité masculine, Izanagi ("celui qui invite"), et une divinité féminine, Izanami ("celle qui invite"), leur confiant la mission de donner forme au chaos et de remplir le monde de toutes les choses qui devaient exister. Le couple divin reçut des mains du KAMI primordial une lance sacrée, dotée de bijoux précieux et de pouvoirs considérables, appelée Ame no nuhoko (天沼矛, la Lance Céleste). Les deux se rendirent sur le Pont Céleste Flottant (天浮橋, Ama no Uki Hashi), le pont qui unit le Ciel à la Terre, et depuis celui-ci ils trempèrent la Lance dans l'océan et agitèrent en tous sens cette soupe primordiale. Les gouttes tombées de la lance formèrent les îles japonaises. La première fut Onogoro, sur laquelle le couple divin s'installa.
Les deux kami engendrèrent de nombreux autres kami qui formèrent petit à petit tout ce que contient la nature : les îles, les montagnes, les fleuves, le vent, le sable, etc.
Mais alors qu'elle donnait naissance au kami du feu, Kagutsuchi, Izanami fut mortellement brûlée et se retira au royaume des morts.
Fou de douleur, Izanagi décapita Kagutsuchi, dont le sang donna naissance à huit nouvelles divinités, et décida d'aller l'y rejoindre.
Il parvint à retrouver Izanami, mais celle-ci le supplia de ne pas la regarder car elle devait tout d'abord demander l'autorisation de revenir sur terre aux kami des enfers. Cependant, l'impatience d'Izanagi fut plus forte et il réussit à surprendre son épouse. Il fut alors horrifié de constater que le corps de celle-ci avait commencé à pourrir et répandait une horrible odeur. Izanami, humiliée et furieuse d'avoir été surprise, se mit à la poursuite d'Izanagi qui s'enfuyait.
Izanagi parvint à lui échapper de justesse et scella l'entrée du royaume des morts d'une lourde pierre. Izanami lui déclara alors que pour se venger, elle tuerait chaque jour 1000 créations d'Izanagi.
Mais celui-ci répondit qu'il en créerait 1500, donnant ainsi naissance au cycle de la vie et de la mort. »
Izanagi ira ensuite se purifier, et de l'eau lavant ses plaies sortiront d'autres kami, dont :
Tsukuyomi, kami de la lune, de son œil droit ;
Amaterasu, kami du soleil, de son œil gauche ;
Susanoo, kami des tempêtes, de son nez.
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