Au fur et à mesure de son évolution, les religions bouddhiste et shintoïste japonaises ont commencé à considérer le taïko comme un instrument sacré. Parallèlement à la cour impériale, ces tambours sont présents dans les cérémonies de village, dans les spectacles de théâtre mais aussi dans les jinja(temple shintoïste) et tera(temple bouddhiste). Le passage au taiko contemporain commence joliment dans un temple shintoiste. Voici l'histoire.
Début années 1950. La guerre est finie. Reconstruction, expansion économique, joie de vivre retrouvée : l'occupation militaire américaine devient vite une occupation culturelle. Tout ce qui vient des États-Unis est considéré "cool". La culture occidentale plaît aux yeux ! Les jeunes filles se coiffent à l’occidentale, et les magasins de modes occidentales prolifèrent.
Cette culture plaît à la bouche : On peut de temps en temps sortir en quête d’un hamburger à la place d’un okonomiyaki, et les cafés où on peut commander un whisky ou un Coca sont de plus en plus fréquentés. Elle plaît à la partie de l'esprit en quête de nouveauté et d'exotisme. Dans la moitié des locaux on peut désormais rentrer en chaussures, rien que ça !
Cette culture plaît aux oreilles : Jazz, boogie, swing, sont les protagonistes des radios et des boîtes, où les danses effrénées de couple représentent une ouverture à la nouvelle vie ! Les jeunes musiciens se donnent un look américain et fument des Marlboro.
Un de ces jeunes s’appelle Daihachi Oguchi. Il a 20 ans et joue de la batterie dans une petite formation jazz. Vous allez avoir besoin de votre pouvoir d'imagination pour penser à un Daihachi qui s'habille et se coiffe comme un jazzman de New York : sur la toile il est impossible de trouver une photo de lui jeune. Il est jazzy et probablement il trouve la musique japonaise dépassée et admire la modernité du rêve américain. Un jour de printemps, un ami va le chercher et lui montre une vieille feuille retrouvée dans le temple Osuwa, à côté de leur ville à 2 heures de Tokyo, Okaya.
"Regarde" lui dit-il, "j'étais en train d'aider le prêtre du temple à débarrasser un ancien dépôt, qui prenait la poussière depuis le début de la guerre. On a retrouvé plein de choses intéressantes. Mais ça, ça a l'air d'avoir une valeur. C'est une ancienne partition, visiblement pour un instrument à percussion. Saurais-tu la lire ?"
C'est le moment où Daihachi a une première occasion pour laisser tomber. Il suffit de dire "C'est quoi cette vieillerie? Ça m'intéresse pas". Et le taïko serait aujourd'hui un phénomène anthropologique connu par 5 ou 6 chercheurs occidentaux, pas plus, avec un impact zéro sur la culture mondiale. Mais non ! Il décide de s'intéresser à cette partition. La notation est tellement ancienne que ni lui, ni ses collègues en comprennent le contenu. Une deuxième occasion pour laisser tomber se présente : on offre la partition au musée ethnologique de quartier et on l'oublie.
Mais non ! Il veut savoir. Et commence à faire le tour des personnes âgées de son quartier. Il demande à droite et à gauche, la réponse est toujours la même : "???". Après plusieurs semaines sans résultats, quelqu'un lui indique enfin un vieux monsieur qui peut savoir quelque chose. Je ne connais pas le nom de ce monsieur. En tout cas, il s'avère qu'il est la dernière personne de la ville à avoir joué ce morceau, près de 60 ans auparavant !
Il aide alors Daihachi à comprendre et interpréter ce morceau. On s'approche à grands pas d'une troisième occasion…
Histoire alternative : Daihachi joue le morceau sur un taiko du temple, il s'amuse un peu puis il revient à son groupe de jazz. Mais tu connais déjà la réponse, non ? Ce n'est pas ça qui va se passer. Il s'entête. (C'est pas pour rien qu'il est japonais).
Il regarde la partition, qui est vraiment simple, et se dit "Mais c'est quoi ce truc? Le tic toc d'une pendule ? Je vais mettre de l’épice à cette musique". Daihachi a une formation en jazz, une des musiques les plus compliquées. L'idée d'un morceau simple au point d'être ennuyeux est insupportable pour lui. Comment faire ? Je m'imagine la recherche de Daihachi si elle était représentée dans un film américain : tourmentée et soufferte, peut-être lors d'une nuit d'éclairs et de tonnerres, avec une musique montante et un montage serré. Dans la réalité, je pense qu'il a réfléchi tranquillement, qu'il s'est amusé à jouer un peu de ci et un peu de ça, et finalement il n'a pas dû chercher loin : il avait à disposition son instrument, la batterie, et un instrument de son pays. Il décide de mélanger deux choses. En s’inspirant de la batterie, il cherche des tambours aux sons aigus qui peuvent jouer le rôle de la caisse claire, de tambours graves pour la grosse caisse et ainsi de suite.
Sauf qu'un batteur s'occupe de toutes les parties, tout seul. Dans ce nouveau concept, les percussionnistes sont plusieurs, et chaque percussionniste joue d’un tambour différent. Mesdames et messieurs, le premier ensemble du taiko est né ! C’est le moment historique où l’on passe du taïko solo, au taïko d’agrégation (kumi-daiko), aux groupes. C’est le moment où le taïko sort idéalement des sanctuaires et des fêtes traditionnelles de village pour rentrer dans les théâtres et dans les salles de concert : cette fois pas en tant que musique accompagnant un spectacle, mais en tant que concert musical.
En hommage au sanctuaire où la vieille partition a été retrouvée, le premier ensemble du taiko moderne est nommé Osuwa Daiko.
Mr Oguchi a contribué à la fondation d’importants ensembles à l'étranger, tels que le "San Francisco Taiko Dojo", qui a joué pour des films d’Hollywood et fait depuis plus de 40 ans des tournées internationales. Il a fait vibrer ses taïkos à Nagano en 1998, à la cérémonie de conclusion des Jeux Olympiques. Il nous a quitté en 2008 à l’âge de 84 ans, dans un accident de voiture.
« Nous tous entendons un rythme taïko, dontsuku dontsuku, dans le ventre de notre mère » il disait aux journalistes, « notre propre cœur est un taiko ». Le taiko qui se joue aujourd'hui partout dans le monde, vient d'une idée de Daihachi Oguchi donc, qui, tourmenté ou tranquille que soit, révolutionne l'histoire de la percussion. En conclusion, pour revenir au discours de l'origine de cet instrument merveilleux : si le taiko existe, c'est grâce aux chinois. Si le kumi-daiko existe, c'est grâce aux japonais.
Et s'il existe en France du Sud, et bien… je vous en prie !
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