Histoire moderne du taïko
Dernière mise à jour : 7 août 2020
Le Japon de 1950 est un pays détruit par la guerre mondiale, qui a immédiatement retroussé ses manches et commencé à reconstruire : les bâtiments, les commerces, l’économie, l’envie de vivre.

Les américains présents sur le territoire, l’armée d’abord et les travailleurs ensuite (ambassade, consulats, commerces, relations internationales, échanges culturels) influencent le quotidien : les jeunes filles se coiffent à l’occidentale ; les magasins de mode occidentale prolifèrent ; on peut de temps en temps sortir en quête d’un hamburger à la place d’un okonomiyaki ; les cafés où on peut rentrer en chaussures, commander un whisky ou un Coca et écouter des groupes de musique occidentale sont de plus en plus fréquentés. Du boogie passe souvent à la radio, et d’ailleurs les orchestres swing animent les boîtes, où les danses effrénées de couple représentent une ouverture à la nouvelle vie et à la culture occidentale. Le jazz conquiert le cœur des jeunes musiciens, coiffés et habillés comme Gerry Mulligan et fumant des Marlboro.

Un de ces jeunes habite à Okaya, dans le département de Nagano. Il s’appelle Daihachi Oguchi, a 20 ans et joue de la batterie dans une petite formation jazz. Un jour de printemps, le prêtre d’un sanctuaire shinto de la ville, le sanctuaire Osuwa, décide de faire le ménage dans un ancien dépôt à côté de sa « paroisse » . Les bâtiments abandonnés pendant les années de guerre sont nombreux, et il est assez courant de les fouiller pour les remettre en état et archiver leur contenu ou le faire revivre. Une fille en train d’aider le prêtre retrouve une ancienne partition de taiko.
« Ce document est très vieux, je n’arrive pas à imaginer combien il doit être précieux ! » s’exclame le prêtre. Et puis il ajoute « Cela doit être une musique que l’on jouait ici il y a longtemps » . « J’ai une idée ! » dit un autre jeune du petit groupe « Je connais un musicien qui pourrait le lire et l’interpréter. Comme ça on saurait à quoi ça ressemble ! ». « Oh ouiiii ! »se rejouit la fille en tapant des mains « Le sanctuaire pourrait faire jouer cette ancienne musique lors des cérémonies !». La partition est proposée à notre ami batteur, Daihachi. La notation est tellement ancienne que ni Daihachi ni ses collègues en comprennent le contenu. Mais Daihachi se passionne à ce mystère et commence à demander aux personnes âgées de son quartier. Après plusieurs semaines sans résultats, quelqu'un lui indique enfin un vieux monsieur qui peut savoir quelque chose. Il s’avère que ce monsieur est la dernière personne de la ville à avoir joué ce morceaux, près de 60 ans auparavant ! Il aide Daihachi à comprendre et interpréter ce morceau. Daihachi a une formation en jazz, une des musiques les plus compliquées, et trouve extrêmement simple le motif qu’il a maintenant à disposition. Il réfléchit. Il se demande comment mettre de l’épice à cette musique. Dans la batterie, n’importe quel motif est intéressant parce qu’on a de différents pièces qui produisent de différents sons, et alors on passe facilement du rythme à l’harmonie… Alors que le taiko a une seule peau… Enfin, deux, mais avec le même son...
"Mais certes ! Idée merveilleuse !
On peut créer une variété de sons à travers un ensemble de taikos ! " Il se met vite au travail : en s’inspirant de la batterie, il cherche des tambours aux sons aigus qui peuvent jouer le rôle de la caisse claire, de tambours graves pour la grosse caisse et ainsi de suite.

Chaque percussionniste joue d’un tambour différent. Mesdames et messieurs, le premier ensemble taiko est né ! C’est le moment historique où l’on passe du taiko solo au taiko d’agrégation (kumi-daiko). Aux groupes. C’est le moment où le taiko sort idéalement des sanctuaires et des fêtes traditionnelles de village pour rentrer dans les théâtres et dans les salles de concert. En hommage au sanctuaire où la vieille partition a été retrouvée, le premier ensemble du taiko moderne est nommé Osuwa Daiko.
Mr Oguchi a contribué à la fondation d’importants ensembles à l'étranger, tels que le San Francisco Taiko Dojo, qui a joué pour des films d’Hollywood et fait depuis plus de 40 ans des tournées internationales. Il a fait vibrer ses taikos à Nagano en 1998, à la cérémonie de conclusion des jeux olympiques. Il nous a quitté en 2008 à l’âge de 84 ans, dans un accident de voiture. « Nous tous entendons un rythme taiko, dontsuku dontsuku, dans le ventre de notre mère » ils disait aux journalistes «notre propre cœur est un taiko ».