Entretien avec Kodō
- TaikoMama
- 5 juin 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 mars 2024
Le groupe Ondekoza quitte l’île de Sado en 1980, et les membres qui restent sur l’île prennent le nom de Kodō, aujourd’hui peut-être le groupe de taiko le plus célèbre du monde. En 2004, lors d’un concert à Rome, je suis allée les interviewer, en japonais et puis j’ai traduit en italien l’interview pour le magazine
« Percussioni ». Ici je n’ai fait que la traduire en français. Comme on parle de leur Centre d’Études à Sado, je vous ai ajouté une galerie de photos (plus récentes que l’interview!) qui montrent les lieux et, j’espère, l’ambiance.
Le concert vient de se terminer. Les artistes prennent une pause entre eux avant de se rendre dans les vestiaires et j’approche un jeune homme qui fait partie de l’équipe. Il s’appelle Jun Akimoto. - Akimoto-san, quel est votre rôle dans Kodo ? - Je suis tour manager pour les tournées nationales. - Est-ce que vous jouez du taiko ? - Cela m’arrive mais mon instrument c’est la batterie. Aussi, je compose des morceaux pour Kodo. - Le symbole que l’on voit sur l’odaiko, c’est quoi ? Ces trois grosses gouttes courbées… - Cela s’appelle Tomoe. Il vient de Chine mais on le voit dans tous les pays. Il y a plusieurs théories sur sa signification. D’après une théorie il représente l’eau qui s’écoule, d’après une autre c’est le KI, l’énergie vitale. C’est aussi le symbole du serpent. Et puis le 3 est un chiffre important au Japon, le chiffre de l’équilibre parfait.

- Dans votre répertoire il y a un morceau qui s’appelle justement « Tomoe », n’est-ce pas ? Trois joueurs s’échangent trois tambours disposés à triangle. Voilà pourquoi alors, pour la force que le chiffre 3 dégage! Maintenant que j’y pense, ils reproduisaient souvent le bruit de l’eau pendant la performance. C’est un morceau qui se fait remarquer parce qu’il est rempli de faux finaux :on se prépare à applaudir et à chaque fois le morceau reprend avec plus de force et de vie ! - Oui, c’est ça ! - Tomoe est un morceau de tambours, mais le reste de la soirée a été bien rempli du son de la flûte en bambou. Les mélodies sont-elles traditionnelles ? - Oui, Kodo pêchent à pleines mains dans la tradition japonaise ; cela fait partie de leur mission de préservation du patrimoine culturel national. Mais les mélodies sont toujours re-arrangées de façon originale. Après Tomoe, ils ont fait un morceau complètement sans percussions. C’est un dialogue entre deux flûtes, qui évoquent l’image d’un champ sous la lumière de la lune. - Votre musique est donc riche d’évocations. Elle se base sur le battement du cœur mais puis elle raconte d’autres histoires. - Oui, sa première caractéristique est le battement du cœur. C’est une chose commune à tous les êtres humains. Quand on est dans le ventre de notre mère, on doit l’entendre bien fort, ce boum boum qui est son cœur ! Et pourtant, ça nous rassure et nous apaise. C’est pour ça qu’on ressent la paix dans notre cœur lorsqu’on entend le taïko, malgré la puissance des coups. Kodo signifie « battement du cœur », et notre adresse e-mail est « heartbeat ». Mais aussi, Kodo s’écrit avec deux idéogrammes qui signifient « tambour » et « enfant »; ça exprime l’intention de Kodo de jouer avec la pureté d’esprit d’un enfant. A partir de là, notre musique exprime plein de choses, la communication avec les dieux, les sortilèges contre les esprits maléfiques, les fêtes de saison.

- Et y-a-t-il aussi des sujets contemporains ? - Oui, par exemple le morceau « Monochrome ». Le compositeur classique contemporain Ishii Maki est venu un jour à Sado et il s’est fortement ému devant les sons de la Nature de l’île. Alors il a transformé en musique ses sensations : le bruissement des pins, la brise qui arrive de la plage… Dans « Monochrome », 6 ou 7 shimé-daikos (petits tambours aigus) en ligne droite sont transformés en ruisseaux, avec une roulade délicate, et puis les crescendos de rivières impétueuses, et le gong qui nous mène dans un conte de fées… - Vous avez travaillé à quoi cette année ? - La bande originale d’un film chinois, « Hero ».


- Tous les groupes taiko se basent un peu (ou beaucoup) sur la tradition japonaise, mais j’imagine que chacun donne son empreinte spéciale, une façon de jouer, un projet commun, le rapport avec le public… Quel est l’élément qui vous distingue des autres groupes ? - (il réfléchit un peu…) La purété. Je remercie Jun pour sa disponibilité et j’approche un des membres fondateurs,
monsieur Fujimoto Yoshikazu. - Félicitation à tout le groupe, M Fujimoto, un concert magnifique ! - Merci. - Vous souvenez-vous du moment où vous avez pris la décision de vous consacrer à cet instrument ? - Dans le village où je suis né les « matsuri » sont nombreux, et le taiko était toujours présent. Mon père en jouait, sur les chars qui défilent dans les rue lors des fêtes, et j’ai commencé tout petit, avec lui. - Et avec Kodo ? - J’ai fait la première tournée mondiale en 1975, mais je jouait avec eux depuis un moment déjà. - Vous êtes souvent un peu partout dans la planète. Avez-vous remarqué une différence entre les publics des différents pays ? - Pas facile à dire. J’ai un souvenir assez précis du public allemand qui est très présent, tient le temps en battant les mains, hurle, encourage. En Italie le public est silencieux, comme à un concert de musique classique. C’est vrai que les tambours japonais sont solennels et en quelque sorte ils appellent au respect. Hier à Naples j’ai eu l’impression d’avoir un public qui écoute beaucoup de musique classique, et qui voyait du taiko pour la première fois. Beaucoup avaient une expression de surprise, littéralement à bouche ouverte. A la fin de chaque morceau ils applaudissaient extasiés.

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